14 décembre 2018 – Intervention de Cédric Volait lors de la commission exécutive de la fédération CGT Santé et Action Sociale des 29 et 30 novembre 2018

La santé est une marchandise

Le « pauvre » est responsable de sa pauvreté, le chômeur est responsable de son chômage, et le malade est responsable de sa maladie. C’est la philosophie qui anime les politiques libérales actuelles. C’est la philosophie qui anime les différents Plans Régionaux de Santé, mais également le Plan Ma Santé 2022 qui constitue une synthèse des différents PRS.

De plus, pour chaque réforme du système de santé depuis plus de 20 ans, la logique est la même : étrangler l’hôpital public, réduire l’offre de soins et faire de la santé une marchandise.

La réforme qui se prépare n’échappe pas à la règle en participant activement à la l’avancement d’un modèle où le financement ne serait plus basé sur le fruit du travail mais également d’un modèle qui n’est plus construit autour de l’hôpital public.
Parmi les évolutions en cours, on peut noter :
– le passage d’une solidarité nationale vers une responsabilité individuelle
– le renforcement de l’assurantiel
– le renforcement des GHT
– la polyvalence des professionnels
– une place plus importante pour la médecine libérale
– ou encore le développement des interventions à domicile

Mais au delà de ces évolutions, de très grandes transformations se préparent :
– Comme le passage d’une médecine curative collective vers une Médecine 4P (Personnalisée, Préventive, Prédictive et Participative) avec une place importante pour les nouvelles technologies (génomique, Thérapie cellulaire, nano-robotique…)

Pour la médecine 4 P, le 1er « P », c’est pour médecine prédictive : il s’agit de détecter une maladie des années avant qu’elle se déclare à l’aide d’algorithmes qui vont analyser les codes génétiques. Un test génétique coûte environ 1000 euros aujourd’hui. Le prix va considérablement baisser pour donner accès à une grande partie de la population, les règles d’accès vont également s’assouplir. Il y a un marché potentiel très juteux sur les tests génétiques. Et c’est le numérique qui va être un levier important.

2ème « P », la médecine préventive : là encore, il y a un marché juteux. On l’a vu avec Angelina Jolie qui a fait une intervention chirurgicale lourde à titre préventif (une mastectomie car elle avait un risque important de cancer). Et les défenseurs de ce type de médecine mettent souvent en avant cet exemple.

3ème « P », la médecine personnalisée : la génomique par exemple permet d’individualiser les traitements. Au delà des marchés que cela va ouvrir, il s’agit d’une autre conception : une vision individualiste de la prévention. C’est l’usager qui se prend en charge. C’est une Individualisation de la responsabilité, une vision culpabilisante notamment pour les gens en difficulté.

4ème « P », la médecine participative : elle est en lien avec les 3 premiers « P » où on va rendre davantage acteur le patient, qui sera demandeur d’informations et de tests, et qui pourra devenir donneur d’ordre pour les soins.

Cette médecine est à mettre en lien avec la multiplication énorme des données sur les patients. Ces données, ce « Big data », certains appellent cela le nouveau pétrole.
En effet, au 18ème siècle, la ressource phare, c’était l’or. Au 20ème siècle, c’était le pétrole. Dans les prochaines années, les données sur la population (et pas seulement dans le domaine de la santé) constitueront un nouvel Eldorado.

Mais ces données : qui en est propriétaire ? Où les stocke-t-on ? Quelles sont les dérives possibles ?

C’est assez effrayant, et on peut se demander si nous n’allons pas être tous traqués : les assureurs voudront savoir si nous avons eu une démarche de prévention sérieuse ou à risque et pourraient décider en fonction de plus ou moins nous rembourser. Ce ne sera bientôt plus de la science fiction.

Voilà les 4 P du marketing (Produit, Prix, Place, Promotion) sont devenus les 4 P de la santé. Pourtant, nous avons le sentiment que la santé de demain sera au contraire : Inégale, Inaccessible, Impersonnelle et Inhumaine.

Si changement de paradigme il y a, c’est pour en finir avec le service public universel et nous faire accepter une économie néo-libérale qui fait de la santé une marchandise, du directeur d’Hôpital un manager et de l’usager un client-consommateur. Ne restera plus qu’à faire de la sécurité sociale, une assurance privée et la boucle sera bouclée.

Afin de gagner en efficacité dans la défense de notre système de santé et la conquête de nouveaux droits, nos syndicats et nos militants ont besoin de comprendre tout ce qui se passe. Ils ont besoin d’analyse plus approfondies, sur le Plan Ma Santé 2022, sur les GHT, sur les mouvements de fusion en cours, sur la médecine 4P et sur toutes les transformations en cours y compris sur la formation et sur nos métiers qui sont, ou vont être, fortement impactés. Le projet fédéral en cours devra être un outil aux service de ces fortes attentes.

26 novembre 2018 – Encart Options UFMICT numéro 641

Encart Options CGT UFMICT 26 novembre 2018

Numéro spécial Droits et Libertés

Au sommaire :
Edito : Valeurs éthiques et orientations stratégiques : l’invivable paradoxe !
Page 2 : Le fonctionnaire est-il un citoyen comme un autre ?
Page 3 : La défense des collègues doit articuler moyens de droit et action collective
Pages 3-4 : Un exemple concret : la lutte contre les violences sexistes et sexuelles


POUR CONSULTER LE DOCUMENT COMPLET : CLIQUER ICI

4 novembre 2018 – Témoignage d’un psychiatre – La fable de l’avion en papier qui se prenait pour un bombardier

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La fable de l’avion en papier qui se prenait pour un bombardier

Par Julien Andersch
Paru sur MEDIAPART

Je ne veux plus, je ne peux plus travailler dans un service dont j’ai honte. Je préférais envoyer mes proches qui souffriraient de troubles psychiatriques dans n’importe quel service plutôt que dans celui dont je suis responsable. Il me faut donc partir.

« Le 11 octobre 2018
Chers collègues, confrères et amis,
La plupart d’entre vous le savent, j’ai demandé à être placé en disponibilité pour convenance personnelle à partir du 15 octobre 2018. En réalité il faut dire les choses telles qu’elles sont, je quitte l’hôpital pour m’installer en tant que psychiatre libéral.

La notion de convenance personnelle indique que je suis pas tenu d’en expliciter les raisons, même si cela m’a été expressément demandé, je ne sais pas de quel droit ? Je ne suis donc pas tenu de m’expliquer mais je vais pourtant le faire.

Pour respecter les convenances, justement, ce message devrait annoncer mon pot de départ, il n’en est rien. Si j’organisais quelque chose compte tenu de ce qui va suivre se serait plutôt un pot de fuite, oserais-je dire un pot d’échappement ?

Il y a évidemment des raisons strictement égoïstes. Être libre d’organiser mon temps de travail et mes congés comme bon me semble, libérer mon mercredi pour m’occuper de mes gosses, me libérer des astreintes et de ces coups fils la nuit qui vous bousillent l’horloge biologique, la perspective peut être illusoire de travailler plus pour gagner plus, avoir un grand bureau avec de jolies meubles, pouvoir choisir moi-même un logiciel médical digne de ce nom, que sais-je encore…II y a un peu tout ça.

Mais il y a aussi des raisons qui ne sont pas égoïstes, en voici quelques-unes. Voici ce qui me pèse, ce qui trouble ma tranquillité depuis des années, et bien plus encore depuis que je suis devenu responsable de l’unité d’hospitalisation complète de psychiatrie de notre cher hôpital. Cela peut paraître paradoxal puisque c’est moi qui ai demandé, avec insistance, à être nommé officiellement dans cette fonction que j’exerçais officieusement et comme je pouvais depuis 2 ou 3 ans… Je ne m’attendais pas à cet effet-là : Ce qui me paraissait inacceptable et que je décris ici rapidement, m’est devenu insupportable dès l’instant où j’en suis devenu responsable. Voilà pourquoi je ne pars que maintenant malgré tout ce qui suit.

Il y a d’abord les difficultés inévitables de l’exercice d’un psychiatre à l’hôpital dans un service fermé. Il faut souvent user de la force pour contraindre les patients, les attraper, les attacher, les enfermer et éviter les coups pendant ce temps-là. C’est probablement nécessaire et justifié, mais sincèrement je n’ai plus envie de le faire, je n’en ai plus le courage, je ne suis même plus sûr que cela soit vraiment nécessaire, je pressens qu’on pourrait faire autrement. Il me faut donc partir.

Il faut parfois être la cible d’agressions physiques et de menaces verbales, et j’ai dû recevoir calmement des menaces de morts sur mes propres enfants. Je n’ai plus envie de passer des soirées à pleurer parce que mon job me force à imaginer ce que serait ma vie sans eux. Si cela fait partie du boulot, très peu pour moi, visiblement je n’ai pas les épaules pour ça.

Et puis Il faut souvent prendre des décisions et tenir des positions intenables, tiraillé entre la nécessité de respecter strictement le droit, tout en garantissant la sécurité des personnes (c’est à dire autant des patients que des soignants) ; ne pas mettre en jeu sur un coup de dés la responsabilité des infirmiers ou la mienne tout en respectant l’inaliénable dignité des patient. C’est le fameux dilemme quasi quotidien de la chambre d’isolement : Est-il juste de déshabiller tous les patients en isolement et de les mettre en pyjama de force, pour garantir qu’ils n’ont rien de potentiellement dangereux sur eux ? Alors que seulement quelques-uns sont réellement susceptible de se mettre en danger ; ou encore est-il légitime et rationnel d’enfermer des patients “pour leur sécurité” alors même qu’ils sont fortement sédatés sans aucun monitoring ni moyen d’appeler un infirmier autrement qu’en tapant violemment sur une vitre… Tout cela dans un contexte où les services juridiques des hôpitaux considèrent que défendre l’hôpital cela peut signifier lâcher les soignants, et montrant du doigt ceux qui travaillent quotidiennement dans la sueur et dans le sang, avec à chaque instant la bonté et la peur chevillées au corps ! Comment osez-vous ?

Je ne veux plus, je ne peux plus travailler dans un service dont j’ai honte. Je préférais envoyer mes proches qui souffriraient de troubles psychiatrique dans n’importe quel service (ou presque) plutôt que dans celui dont je suis responsable. Il me faut donc partir. Parce qu’il n’y a pas de portes aux placards, que les tables de nuits tombent en morceau, parce les murs sentent la cigarette, parce que les chambres sont souvent des chambres doubles. En quel siècle sommes-nous déjà ? Qui pourrait dormir, ou ne serait-ce que se reposer, à côté d’un schizophrène qui portent des cicatrices sur chaque centimètre carré de sa peau ? A côté d’un maniaque qui se cache dans votre placards avec des ciseaux pour vous “protéger des infirmières qui veulent vous tuer” ? Parce que les soignants sont usés dans leur courage et leur motivation, décimés en nombres, sans cesse partant et mal remplacés, parce qu’ils ne sont plus formés, accompagnés, soutenus, défendus. Quand il n’y a même pas une télévision accessible, encore moins un ordinateur, quand la seul activité thérapeutique qui subsistent c’est le goûter du mercredi et une table de ping-pong ! Parce que certains patients le disent : “on est mieux en prison”. Je ne peux pas rester.

Je ne veux plus me sentir inutile, incompris, impuissant lorsque je fais la moindre demande, mais également lorsque je lance les alertes les plus graves. Je ne veux pas avoir à dénoncer mon propre service au procureur de la république pour obtenir enfin au bout de 17 années de démarches infructueuses le placement d’un pauvre patient souffrant d’un déficit intellectuel profond et congénitale, à qui nous n’avons à offrir qu’un chambre sans fenêtre ou un aquarium au vue de tous, patient et visiteurs. Et on se bat pour qu’il n’y ait plus d’animaux dans les cirques ! Dans quel monde vit-on ? Il faut que l’hôpital brûle pour obtenir un débroussaillage, je crains qu’il faille attendre qu’une patiente mineure se fasse violer pour obtenir des verrous aux portes… Je n’exagère rien. Hélas. Trois fois hélas.

Depuis quelques années l’idée de partir m’est venue plus d’une fois, et pas qu’en me rasant, mais il y a quelques mois cette idée m’est venue et ne m’a plus quitté, parce que je sens la catastrophe arriver. Demain, peut-être après-demain. Alors oui je pars, je me sauve comme on dit, parce que je peux le faire, mais je n’en suis pas fier, j’aurais voulu avoir le courage et la force d’améliorer tout ça. Je pense à tous ceux qui ne peuvent pas s’échapper. Et en premier aux patients. En souffrance, vulnérables, privés de liberté, de sécurité, de dignité. Ensuite à mes collègues, encore un peu plus bloqués par mon départ “parce qu’il faut bien que quelqu’un fasse le job”… Sans commentaire. Et bien sûr à tous les soignants qui sont dans la même galère que les patients, chaque jour. Nous les médecins nous ne faisons que passer et nous repartons aussitôt, mais les autres soignants, eux, sont tout aussi captifs que les patients. Parce qu’il faut bien remplir la marmite. Et si chichement encore, comment peut-on être payé si peu pour un travail si difficile ? Comment peut-on supporter d’être tant loué dans les discours et tant méprisé dans les actes ?

La psychiatrie est délaissée en France, ici elle est sinistrée. Les soignants sont à bout, sur les rotules, résignés, ils n’ont même plus la force de faire grève, j’ai bien essayé de leur souffler l’idée, mais pour cela il faudrait qu’il leur reste un peu d’espoir… Je suis comme eux, l’espoir, je l’ai perdu. Il me faut donc partir.

Il faudrait parler de toute les belles choses, et il y en a, je ne les oublie pas. Mais cela viendrait adoucir le propos, on retiendrait que “finalement ce n’est pas si grave”. Eh bien si, C’est grave ! Et je ne vous laisserai pas sur un autre constat que celui-ci. Je vous prie d’excuser la véhémence de mon propos, si cela trouble pour quelques minutes le ronron des mails et des réunions ; Sachez qu’en psychiatrie à l’hôpital, c’est avec ce sentiment qu’il nous faut aller travailler chaque matin.

Il me faut donc partir, parce que j’aspire à d’autres matins. »

Dr. Julien Andersch, psychiatre et psychothérapeute