8 septembre 2014 – Prévention : chaque euro investi permet d’en gagner au moins deux

« Investir dans la prévention, ça paie ». Quiconque a assisté au congrès mondial de Francfort sur la santé et la sécurité au travail, cette semaine, a pu l’entendre à plusieurs reprises. Si les chiffres divergent, les études et les experts confirment. Et ne prennent en général pas en compte tous les bénéfices indirects, notamment pour le système de couverture sociale.

Lundi matin déjà, lors de la conférence de presse inaugurale du Congrès mondial pour la santé et la sécurité – qui se déroulait à Francfort cette semaine – les représentants des organisations internationales de santé-sécurité l’affirmaient : « Investir dans la prévention, ça paie ». « Il n’y a pas d’argument financier valable contre la prévention »,
a souligné l’un, « les employeurs ne doivent pas se considérer comme des payeurs, mais plutôt comme des investisseurs… dans le capital humain », a renchéri un autre. Tous convaincus que « plus le niveau de sécurité est bas, plus le prix à payer est élevé », les intervenants ont même mis des chiffres sur la table. Selon l’AISS (association internationale de la sécurité sociale), dans les pays développés, le coût des accidents et maladies en lien avec le travail représente en moyenne 4,4 % du PIB.

« Prevention ? Too expensive ! »

Toutefois, au vu de l’affluence lors de la conférence spécialement dédiée à ce thème – « Le retour sur investissement de la prévention », qui se tenait mardi – ils sont encore nombreux, parmi la communauté SST (santé sécurité au travail), à avoir besoin d’une démonstration. Et pour commencer, beaucoup aimeraient saisir la raison du blocage : « Si la prévention paie, alors pourquoi investissons-nous si peu ? » a demandé l’un des auditeurs de ladite conférence. Plus tôt dans la semaine, le secrétaire général de l’AISS, Hans-Horst Konkolewsky, a avancé un argument qui répond en partie à la question. En effet, il a fait remarquer le manque de soutien des pouvoirs politiques par rapport à l’investissement dans la prévention. « Surtout dans les pays développés », a-t-il insisté. Les chiffres de l’investissement étant tout de même « moins mauvais qu’on le dit », d’après les experts réunis au congrès, un problème d’opinion publique se fait aussi jour. La plupart du temps, comme l’a expliqué Paul Duphil, directeur général de l’OPPBTP (organisme professionnel de prévention du BTP), les employeurs se disent : »Prévention ? Too expensive ! » (« La prévention ? Trop cher ! »). Sans mêmeavoir fait le calcul.

Pour 1 euro investi, ce sont 2,20 euros de gagnés

Pourtant, l’OPPBTP l’a fait dans le domaine de la construction en France, et Paul Duphil l’assure : « Il est possible de mesurer l’impact financier de l’investissement dans la prévention. » Et face aux chiffres « inacceptablement hauts » des morts au travail – 160 000 chaque année en Europe, selon Teresa Moitinho, de la Commission européenne –, ceux du retour sur investissement (ROI) sont parlants. « Pour 1 euro investi, le retour est en moyenne de 2,19 euros », d’après Paul Duphil. Les études de l’ISSA, vont même jusqu’à 2,20 euros. L’universitaire allemand Dietmar Braünig, qui a réalisé une méta-analyse de plusieurs d’entre elles, estime quant à lui que « la première année, dans la moitié des cas étudiés, le retour par employé peut aller jusqu’à 1 000 euros ». Toujours est-il que le ROI n’est pas suffisamment pris en compte par les employeurs, « puisque l’investissement dans la prévention est considéré comme une dépense obligatoire », explique Paul Duphil.

Les « autres » bénéfices

C’est sans compter les autres bénéfices qu’ils oublient de considérer. Les gains faits par le système de couverture sociale d’abord. Le docteur Mohammed Azman, de l’organisation malaisienne pour la sécurité sociale, a observé dans son pays une diminution importante des coûts liés aux pensions d’invalidité grâce à la mise en place de programmes promouvant l’investissement dans la prévention. Entre 2003 et 2013, selon lui, ces coûts ont baissé de moitié. Il estime quant à lui le ROI d’1,43 euro pour 1 euro investi. « Mais ça n’est pas tant sur les bénéfices que ces programmes ont de l’impact » a-t-il conclu : « Nous avons observé moins de dépressions, moins d’anxiété, moins de stress et plus de confiance en soi chez les salariés concernés ». Le bien-être des travailleurs est donc, bien sûr, et d’après les témoignages des uns et des autres, le plus gros bénéfice à prendre en compte.

Un argument qui permet d’être écouté

Insister sur les gains financiers de la prévention revient-il à dire que ce bénéfice-là, la meilleure santé des salariés, compte pour du beurre ? Pas du tout, a-t-on souvent assuré au congrès de Francfort. Simplement « quand on parle argent et prévention, les gens écoutent davantage que si on parle uniquement prévention », souligne Paul Duphil. Joachim Breuer, le directeur général de l’assurance sociale allemande des accidents du travail et maladies professionnelles (DGUV), l’a confirmé au début du congrès : « Il faut parler argent si l’on veut que les gens nous prêtent attention. L’aspect financier n’est pas le plus important quand on parle de sécurité et de prévention, mais cela en est bien une des facettes ». Filant son argumentaire, Paul Duphil émet un début de solution finalement peu évoquée à Francfort : peut-être est-ce aux préventeurs, pour convaincre les employeurs, de changer de stratégie, et d’accepter de faire le lien entre prévention et profit au lieu de systématiquement évoquer son coût. Prendre en compte le ROI, pourrait permettre, à force, d’en persuader plus d’un.

Source : Actuel – Hygiène sécurité environnement